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Voyage au Niger – Jacques Delnooz – Novembre 2015

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VOYAGE AU NIGER fin novembre 2015

Merci à vous tous qui vous êtes inquiétés pendant notre périple Nigérien. Notre rapport se fera en trois temps.

Le récit à suivre tentera de restituer « la petite histoire », ce sont plutôt des notes de voyage.

Dans quelque temps vous recevrez une synthèse de nos rencontres (enfants parents enseignants) et des entretiens avec la hiérarchie de l’enseignement (ça va prendre du temps car on a des heures de palabres, de rencontres et de notes à dépouiller).

Enfin un film mais pas avant 2016, car là aussi le montage sera laborieux.

Les protagonistes :
Marie-Hélène et Jean-Yves qui vont continuer à s’engager dans l’association avec nous.MH-nov15
Ils sont d’ores et déjà gravement contaminés, ils sont tombés sous le charme des Woodabé. Ils se doutent que la maladie est incurable.

Marie-Hélène a perdu son deuxième prénom au contact des Woodabé c’est Marie tout court.
Je l’ai surprise tenant maternellement Djouri et Djingoudo par l’épaule : « Alors les garçons, je vous fais un café ? »
Et voilà, elle qui en a déjà trois à la maison s’en trouve nantie de deux supplémentaires.
Marie a la manière avec les filles et les enfants. On la voit des heures durant entourée des uns et des autres, écoutant, expliquant, la voix douce.

JY-nov15Les Woodabé sont estomaqués que Jean-Yves « grand docteur qui a conseillé des ministres » s’occupe de laissés pour compte comme eux. Sa parole a du poids, il fouille les dossiers avec méthode, rigueur et pugnacité.
Il a aussi la capacité de balancer les flèches les plus acérées avec le sourire et dans un langage civil qui laisse l’interlocuteur cloué au sol.

Jacques, vous connaissez, rien à en dire si ce n’est que c’est en tout point le contraire des deux précédents : (Note de JY : Jacques est chez lui à Abalak . En patriarche ému il peut même se permettre de se fâcher, et engueuler avec un cœur gros comme ça et sans sourire des élèves stupéfiés…)

La sécuritéSoldats-nov15

« Votre sécurité n’a pas de prix ! » On a tout de suite compris, la protection ça se négocie.
On débute par deux 4×4 de 10 hommes chacun (heureusement qu’il n’y a pas de half-track disponible) et ça se termine avec un 4×4 et 5 hommes. On paye leur présence plus la nourriture plus l’essence.
Ils nous marqueront à la culotte durant tout le séjour. Ce sera le poste le plus cher de notre périple.

Le voyage

Niamey – Tahoua 600 km 10 heures
Une panne à l’aller (échappement) , une panne au retour (disque d’embrayage à changer). Tahoua – Abalak 135km 3 heures (terrible : car la route est défoncée, elle est pire que la piste). Abalak – Bellel 50 km 1.30 heure (piste) Abalak Abilbal com oulbe 50km 1.30 heure (piste).Voiture-nov15

Le 4×4 avait des amortisseurs du troisième âge et Djingoudo une conduite habile mais impulsive de gamin qui se prend pour Sebastien Loeb. Elle nous a bien éprouvés. En plus toutes vitres ouvertes pour rafraîchir sans égard pour la poussière.
J.Y. et M.H. Ont essayé de lutter contre des cavernes au poumon en commandant des chèches à Djingoudo. Il leur en a procuré de couleur rose du meilleur effet.

L’accueil
Lit-nov15Bonne arrivée ! … et le voyage… et la fatigue… et la famille… ???
Djouri a soigné l’hôtellerie. A Bellel on est logé chez lui sur des lits traditionnels. On a donc été constamment au cœur du village et même au milieu des chèvres (si jamais on laissait la porte ouverte on les retrouvait dans notre chambre à bouffer la natte).Chevre-nov15

A Abalak on a vécu au milieu des collégiens.
La réception était à cœur ouvert faite de tendresse et de complicité, certains nous tirant à l’écart pour nous remettre de petits cadeaux.

Les filles ont adopté Marie et vice-versa.
« Qu’est-ce que vous mangez le matin avant l’école ? » « Rien… des fois un peu un peu… »
« Il faut manger pour avoir des forces»
« Oui mais épaisses »… Le souci de la ligne est décidément universel.

La nourriture

Uniforme (riz ou macaronis, tau de mil ou de maïs, viande, pain) mais saine car nous l’avons très bien supportée. Une mention spéciale pour le lait de zébu fraîchement trait toujours un régal.

A l’internat

Les enfants apprennent leurs leçons à la nuit tombée. Certains tiennent haut leur livre pour bénéficier de la lune montante, d’autres se massent au pied de la mosquée qui a un panneau solaire et une lampe extérieure, d’autres encore ont une lampe dont ils se partagent le faisceau. C’est ainsi qu’on peut voir sur une natte une couverture bizarrement bombée d’où sort l’ânonnement de deux gamins qui chantonnent leur leçon. La technique du métro est aussi pratiquée : l’un en face de l’autre, l’un lit à l’endroit et l’autre à l’envers, sans problème…

L’internat est un lieu de vie où les mamans font la cuisine, les enfants y dorment, y mangent, s’y lavent à la bouilloire, font leur lessive, étudient et à l’occasion… flirtent dans le jardin d’à côté. Pas de tenue débraillée, ils sont nickel.

La pauvreté

MEMS a toujours habillé la pauvreté des Wodaabe avec les habits de leur dignité.
Dire que c’est le peuple le plus pauvre du pays le plus pauvre du monde n’a pas l’odeur rance de la misère mais la sécheresse des statistiques, or la réalité vous prend à la gorge.

Il y a un petit bout de 7 mois qui dort sur une natte. Il fait nuit. J’ai failli marcher dessus, sous ce tas de chiffons il n’était pas identifiable. Ce n’est qu’un gamin de plus, sauf que c’est un miraculé dont la mère est morte 7 jours après sa naissance. Je l’ai vu dans les bras d’au moins 5 femmes différentes et porté dans le dos de Yaci. Je croyais que c’en était un de plus chez les Bigue mais non, la communauté l’a recueilli comme un de leur famille. Il a pleuré pendant des mois. Ils l’ont maintenu

en vie. Maintenant il est adorable, il rigole, il est passionné par le bruit que fait une bouteille en plastique, il a une énergie fantastique.
Pour eux ce n’est pas une histoire singulière, c’est juste normal.

Trois femmes sont veuves, elles ont un ou deux enfants au collège, elles doivent payer l’inscription et faire leur tour de cuisine. Elles vont partir au Nigeria pour essayer de trouver quelques sous car elles n’ont plus rien. Elles vont laisser leurs enfants derrière elles.

Visiblement Djouri attend de nous une solution financière.
On sait que si on entrouvre la porte toute la misère des Wodaabé va s’y engouffrer et tout balayer car tous ont à peine assez d’argent pour survivre.
On n’a pas de solution. Leur dire notre ‘orthodoxie’ nous a ravagés. Alors comme nous sommes une association on partage ça avec vous.
Il n’y a pas de raison que nous soyons les seuls à sentir notre estomac se nouer et nos yeux piquer.

On arrive à Bellel Tanfirgane. Les enfants se massent, « Ceux-là sont à moi, ceux-là à Bagui, …etc… Ces trois-là n’ont plus de parents. Les mamans sont mortes en juillet de retour du Nigeria (peut-être le palu) Ils sont là, ils font partie de la bande de gamins, aussi déguenillés que les autres mais pas abandonnés. J’ai l’impression qu’on fournit une cantine pour l’école mais qu’aussi en catimini on aide un orphelinat. On ferme les yeux mais là encore les tripes se tordent devant cette solidarité naturelle.

« Des fois des vieux ils n’ont rien, plus d’enfants, plus d’animaux, rien. ils mangent un peu, un peu, chez l’un chez l’autre et le soir tu les trouves autour du feu, neuf mois après ils sont toujours vivants, tu es étonné ». (Djouri)

On comprend une chose, tant qu’il s’agit de partager avec les défavorisés la solidarité joue, quand il s’agit de sortir des sous, ils n’en ont déjà pas assez pour eux mêmes … alors !

À tout vous dire, ce qui m’a le plus vidé c’est cette confrontation avec ce peuple démuni et sa générosité. Je croyais que l’âge avait émoussé ma résistance, mais j’ai pu constater que les deux « jeunes » Marie et Jean-Yves ont été aussi gravement atteints que moi.
La fatigue du voyage était bien moins pénible que cette réalité.

On termine sur l’optimisme de Djouri lors de notre accueil à Niamey :
« Tu vas voir tout qu’il est en train de changer, tu souviens il y a 10 ans on n’était pas beaucoup pour l’école. Au dernier Djingo (rassemblement de tous les éleveurs Woodabé) on n’a plus parlé que de l’école, même pas de la sécheresse. Tu vas voir même les femmes elles seront là. Mais ces changements c’est difficile à « guérer » (gérer) les parents ils ont beaucoup beaucoup de mal à imaginer une autre vie et les enfants aussi. Tout que vous dites (participation des parents, accès au travail , solidarité) je suis d’accord et les parents aussi mais c’est difficile parce que les gens ont de moins en moins ».

Et sur cette phrases de Tara, l’ardo d’Abilbal :
« Si je regarde ma vie et mon expérience les enfants qui ne vont pas à l’école sont des morts vivants »

Amitiés à tous, Jacques

 

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